Toi et tes musiciens avez composé la totalité de Radio On en un weekend. Avant de débuter cette session, savais-tu que vous obtiendriez assez de matériel pour enregistrer un album complet ?
Non, tout cela est parti d’une idée un peu folle qui m’est venue. Il faut savoir que mon groupe actuel est un peu mon « supergroupe ». Tous mes musiciens ont de grandes qualités de compositeurs. J’adore Dave Reimer, mon bassiste, qui est aussi un bon chanteur et doué pour l’écriture. Sean Kelly, mon guitariste, écrit également des chansons, et John Cody, mon mari, à la batterie, est un excellent arrangeur. Pour les deux albums précédents, Fire and Gasoline en 2016 et Diamond Baby Blues en 2018, nous procédions par échange de fichiers, l’une des raisons à cela étant que Sean vit à Toronto et non à Vancouver. Mais il m’a semblé qu’une partie de la magie se dissipait à travers ce processus. J’ai donc proposé que nous nous réunissions pour un weekend et ai demandé à chacun de venir avec ses trois ou quatre meilleures idées, pour voir ce que cela pouvait donner. Et la magie s’est produite. Pour chaque élément amené par quelqu’un, un autre venait apporter une touche qui collait parfaitement. De mon côté, je ressortais des textes de mon songbook ou je trouvais des mélodies vocales en accord avec la musique. J’ai aussi composé deux titres au piano : Devil’s Gold et Twenty One. Car, tu sais, j’écris beaucoup au piano. Et les autres se sont mis à jouer, cela coulait littéralement de source. Nous avons laissé libre cours à notre inspiration au point que la fin de Devil’s Gold s’étend à la manière de Free Bird (Lynyrd Skynyrd). Les choses se profilaient tellement bien que j’ai tout enregistré à l’aide de mon téléphone portable, pour ne rien perdre. Nous avons composé treize morceaux durant ce weekend et en avons finalement repris douze pour l’album.
Donc, ce que nous pouvons écouter sur Radio On est issu de cette fameuse session de composition. Qu’en est-il d’autres idées que tu aurais pu accumuler au cours du temps ?
J’ai déjà presque six nouvelles chansons qui serviront à notre prochain album. J’écris pratiquement tout le temps, n’importe quand, de même que mes musiciens. Mais la préparation complète de Radio On s’est inscrite dans un long processus. De mon côté, j’ai pris un peu de temps pour peaufiner les paroles après coup. Puis nous devions entrer en studio durant l’automne 2019, mais avons été contraints de reporter l’enregistrement pour des raisons privées. Nous nous sommes retrouvés en studio en mars 2020 quand la pandémie a frappé. Heureusement, les basic tracks étaient enregistrés et nous avons pu achever le travail dans nos home studios respectifs. Nous avons terminé en novembre 2020. Là, Mike Fraser et moi avons procédé au mixage.
Tu t’es éloignée du Hard Rock à une certaine époque. Qu’est-ce qui t’a motivé à revenir vers ce style dès Fire and Gasoline, et pourquoi à ce moment ?
Ce que je savais, c’est que je continuerais toujours à sortir des albums de Lee Aaron. Appelons ça du Hard Rock ou du Heavy Metal si tu veux. Mais je considère que mon approche actuelle est plus typiquement rock’n’roll. Des chansons à base de guitare que les gens peuvent reprendre en chœur. Pour moi, c’est ça, l’idée d’une bonne chanson. Quand je me suis orientée vers le blues et le jazz à la fin des années nonante (quatre-vingt dix), je n’ai pas considéré que je quittais le camp du Hard Rock. Il s’agissait d’une sorte d’exploration, d’un retour aux racines du Rock. Prends les grands groupes que sont Led Zeppelin, les Who ou Jimi Hendrix. Ils sont les pionniers du « gros son », n’est-ce pas ? Mais que faisaient-ils, au départ ? Ils jouaient du rock’n’roll à la Chuck Berry en poussant le volume de l’ampli à onze. En pensant aux artistes que j’aime et qui m’ont influencés, j’ai voulu aller plus loin et me pencher sur leurs influences à eux. Et d’où viennent-elles ? Du blues et du Jazz. C’est une expérience que je ne regrette en rien. Et si tu prends les groupes de jazz les plus fous, ils sont sur scène et ne savent pas ce qu’ils vont jouer, là, deux minutes après. Au fond, c’est ça, le rock’n’roll. J’ai retiré de cette exploration tout un panel d’apprentissages qui m’ont permis de m’améliorer en tant que chanteuse, compositrice et artiste, tout simplement.
Puis j’ai mis ma carrière entre parenthèses pendant douze ans pour devenir maman et m’occuper de mes enfants le mieux possible. C’était ma priorité. Ils ont grandi et j’ai pu considérer un retour à la vie professionnelle. Quand j’ai composé Fire and Gasoline, je n’avais pas d’objectif précis concernant son orientation musicale. Il se trouve que les chansons sont plutôt rock et hard rock, donc on peut dire que je suis de retour dans le milieu, mais mon seul but est d’écrire de bonnes chansons quel qu’en soit le style.
Penses-tu être aujourd’hui plus libre en matière que composition et de production que tu as pu l’être dans le temps, et peux-tu dire que tu fais à présent exactement ce que tu veux ?
Oui, ce que je veux ! J’ai créé mon label, Big Sister Records, je le gère et le finance. Je suis donc totalement libre à tous les niveaux. Artistiquement, je peux engager les musiciens que je veux, choisir les chansons à publier, choisir les studios, qui mixera un album, qui en réalisera la pochette, qui s’occupera des clips. J’ai un contrat de distribution avec Metalville Records. Je leur fournis les disques terminés et je suis seule à prendre les décisions qui me concernent professionnellement.
Durant la première partie de ta carrière, l’image était plus qu’importante pour un artiste. A cette époque, il fallait absolument respecter certains canons pour pouvoir espérer récolter une once de succès. Tu sembles de nos jours bien éloignée de toutes ces considérations. Les mentalités ont-elles changé en profondeur ou, plus simplement, as-tu atteint un seuil de longévité et d’indépendance, via ton label, te permettant de t’affranchir de certains diktats ?
Tu touches différents points, et je pense qu’il y a du vrai dans tout. Peu de gens le savent, mais je suis devenue indépendante en 1992 au Canada. J’ai créé un premier label qui a évolué en différentes étapes pour devenir Big Sister Records. Je suis donc une artiste indépendante depuis près de trente ans ! Ma motivation principale était de reprendre le contrôle de ma carrière. Dans les années 80, quand tu étais sur un gros label, les dirigeants étaient des investisseurs et toi, le produit. S’ils investissaient 400 000 dollars sur toi, il leur fallait un retour sur investissement et ils avaient évidemment leur avis sur la façon de le rentabiliser, c’est-à-dire sur la musique, la direction artistique, ton look, ton image, etc… J’ai eu l’impression de perdre le contrôle de beaucoup de choses, dans les années 80. Dans le milieu du Hard Rock plus encore qu’ailleurs, tout était très sexualisé. Je ne souhaitais pas aller dans cette direction.
Mais toute cette équipe autour de moi me disait qu’il fallait respecter le contrat à un demi-million de dollars, et donc porter tel bikini, par exemple. La chanson Metal Queen renfermait une connotation féministe. Elle incitait les femmes à l’auto-responsabilisation. Qu’y a-t-il de plus fort que d’être une metal queen, d’être forte et de prendre son destin en main ? Il était question que les femmes aient le même statut que les hommes dans le monde du Hard Rock qui était très largement dominé par la gent masculine. C’était un combat pour le respect. Mais je me retrouvais sur MTV quelque part au milieu des images à la Slippery When Wet, avec la fille qui savonne la voiture du gars, ou W.A.S.P. et ses fameux shows avec une fille nue attachée à une croix, un sac sur la tête. Alors, voyant la vidéo de Metal Queen, tout le monde s’est dit « voila encore une super-nana qui fait du Hard Rock » et le message est passé inaperçu. Tout cela a été assez frustrant. Mais en même temps, moi et d’autres artistes féminines de la même époque avons ouvert la voie à la génération suivante. Et dans les années 90, bon nombre de femmes sont apparues dans le paysage musical avec leurs guitares pour délivrer des messages de colère et dire tout ce qu’elles souhaitaient. Et elles ont été prises au sérieux et respectées. Alors oui, ne plus dépendre d’un label me permet évidemment de m’affranchir de toute considération extra-musicale. Et financièrement, l’avantage des technologies actuelles et qu’il est beaucoup moins coûteux d’enregistrer un album qu’autrefois.
Parlons plus en détail de quelques titres de Radio On. Le tout début de Soul Breaker me fait penser à Face the Day, de The Angels / Angel City, que Great White a repopularisé via sa reprise en 1986. Je ne sais si l’influence vient vraiment de là, mais un petit quelque chose me fait vraiment penser à cette chanson…
Tous les membres de mon groupe ont des influences et des références différentes. John a des goûts très variés, passant des Beach Boys à Frank Zappa. Il aime aussi beaucoup de vieux folk, Bod Dylan,… mais assez peu de Hard Rock. Moi, c’est surtout les seventies, avec les Who, Led Zeppelin. Côté Hard Rock féminin, j’aime les groupes à la limite du Punk, comme les Pretenders et les Runaways. Dave est plutôt hard/pop et aime des groupes comme Crowded House et Cheap Trick. Et mon guitariste Sean est très hair-metal des années 80. Lui écoute certainement Great White et il se pourrait qu’il y ait pensé en nous présentant ce morceau. Mais la musique m’a fait penser à autre chose et j’y ai apporté ma mélodie vocale et les références que j’avais en tête. C’est d’ailleurs ce mélange d’influences qui fait qu’un titre de Lee Aaron est un titre de Lee Aaron… nous amenons des idées en rapport avec notre culture musicale, mais celle-ci est différente pour chacun d’entre nous.
Devil’s Gold m’a aussi marqué par son petit côté sombre. Peux-tu en dire quelques mots ?
Ce titre a peut-être quelque chose de sombre, mais je ne l’ai pas voulu ainsi. Peut-être sombre et doré à la fois. J’avais Fleetwood Mac en tête quand j’ai écrit Devil’s Gold. Le texte parle des dommages causés par la société de consommation. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, nous sommes de plus en plus soumis à des messages tentant de nous convaincre d’acheter tel ou tel produit censé rendre notre vie meilleure. Mais nous sommes tous responsables de cet état de fait, en permanence occupés avec nos téléphones portables, à cliquer sur toutes les publicités. Parfois, on se demande ce que l’on est en train de faire, pourquoi on est sur le point d’effectuer un achat… mais cela ne modifie en rien la tendance de fond. Et ce type de comportements est encore plus ancré dans la culture jeune. Mais toutes ces merveilles nous rendent-elles plus heureux ? C’est de cela que parle Devil’s Gold.
Wasted parle d’addiction à l’alcool. Ce n’est généralement pas un sujet que l’on choisit d’aborder par hasard. Que souhaitais-tu exprimer à travers cette chanson ?
Je n’ai pas passé beaucoup de temps à écrire les paroles de Wasted. J’avais un refrain et le texte est venu très vite. Je voulais une jolie chanson mais qui traite d’une forme de laideur. C’est un sujet qui me touche car un membre de ma famille a eu à se battre contre l’alcoolisme. Et j’ai de l’empathie pour cela car il est extrêmement difficile de sortir de l’emprise d’une addiction. D’un autre côté, ce qui est aussi terrible est que la personne sujette à cette dépendance ne réalise pas tout le mal qu’elle cause à son entourage. Il y a là une forme de déni. Et cela va dans les deux sens, car la famille veut aussi croire que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes et ne veut rien laisser paraître du mal-être qui la ronge de l’intérieur. Tout l’amour qui existe au sein d’une famille peut être gâché (wasted, en Anglais) à cause de cela. Les dépendances à l’alcool ou aux médicaments sont les plus courantes et sont souvent perçues comme relativement bénignes tant elles sont répandues. Mais elles provoquent des dommages aussi importants que les addictions à d’autres drogues. Cette chanson peut toucher beaucoup de monde, car il me semble que chacun connait, dans son cercle proche ou plus élargi, au moins une personne ou une famille gravement atteinte par le problème de l’alcoolisme.
Pour terminer sur une note plus joyeuse, as-tu des concerts en prévision pour les mois qui viennent ?
Toutes les dates internationales sont reportées en 2022. Au Canada, nous sommes un peu en retard par rapport au reste du monde concernant la vaccination, et nous ne pouvons pas encore nous déplacer d’une province à l’autre. Personnellement, j’ai reçu ma seconde dose il y a trois jours et j’en suis heureuse, mais tout ce processus sera encore long. Nous sommes impatients de revenir en Europe. Nous sommes venus en 2017, surtout en Allemagne, puis avons pris part au Wacken en 2018. Nous espérons être à l’affiche des évènements majeurs pour jouer devant les plus de monde possible…
Merci pour cette conversation, Lee. J’ai eu un immense plaisir à discuter avec toi et espère te revoir bientôt sur scène.
Merci Oli, et prends soin de toi.