Aephanemer, Lethal Technology, Askara
Manoir Pub, St. Maurice (CH)
Date 7 avril 2023
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://manoirpub.ch

Que peut donc réunir Aephanemer, Lethal Technology et Askara ? Si ces trois groupes officient dans des styles radicalement différents, ils ont en commun le fait de mettre en avant le chant féminin sous toutes ses formes, des plus lyriques aux plus extrêmes. Ce 7 avril 2023, en une belle soirée pluvieuse, c’est la reprise de la tournée d’Aephanemer qui réunit ces trois entités musicales, sur la scène du Manoir Pub de Saint-Maurice. Si Lethal Technology et Askara ont déjà partagé l’affiche en ce même lieu quelques mois plus tôt, il s’agit du premier passage en Suisse romande — en Suisse tout court — pour les Français d’Aephanemer, pour une scène qui paraît en tout cas prometteuse…

La soirée s’ouvre en relative douceur avec les Bâlois d’Askara et leur gothic metal progressif. Sur fond d’intro atmosphérique, les trois musiciens apparaissent solennels, tout de noir vêtus, les bras en croix et les yeux levés au ciel, jusqu’à faire retentir sur leurs instruments les premières notes du titre Identity. À celles-ci vient s’ajouter la voix death/black du bassiste Elia Schmidt, bientôt rejointe par celle, haut perchée et mélodieuse, de son épouse Myriam. Fort de deux albums à son actif, Horizon of Hope, sorti en 2016, et Lights of Night, sorti l’année dernière, le groupe s’appuie sur une setlist centrée sur ce dernier tout en y incluant quelques extraits du premier. Dans tous les cas, cette dualité entre aspects sombres et éthérés fonctionne bien, portée par un son très organique qui fait ressortir les aspérités de chaque instrument et voix ainsi que par le jeu de scène dynamique du quatuor, bien loin de l’image froide et lisse que peut renvoyer le genre. La complicité du couple meneur fait au moins aussi plaisir à voir que leur duo de voix à entendre, de même que les expressions habitées de leurs camarades Emanuel Strebel et Benjamin, l’un derrière ses fûts, l’autre derrière ses grandes lunettes. Ouverture oblige, Askara ne dispose que d’une demi-heure de set ; une durée toutefois largement suffisante pour que le charme opère sur des spectateurs qui se montreront réceptifs et ravis d’aller présenter leurs salutations au groupe au stand de merchandising !

Askara

Six mois après que la scène du Manoir Pub ait accueilli la célébration du vernissage de son premier album, Mechanical Era, Lethal Technology en foule une seconde fois les planches, avec toutefois quelques changements au programme. Ainsi, c’est toujours sans batteur, mais avec une nouvelle chanteuse dans ses rangs, Yu Chen, que le groupe valaisan poursuit la promotion de son opus, en le jouant dans son intégralité (moins deux titres). Pour qui n’a pas écouté ce dernier, le mélange que propose le groupe, entre metal industriel, death metal et metal progressif, a de quoi surprendre, voire sembler discordant. Fort heureusement, les quatre musiciens et chanteuses savent ce qu’ils font et ont tôt fait de le démontrer. À commencer par ces messieurs Cédric Ferret et Julien Dulex, dont la solide expérience se voit et se ressent, le premier secouant la tête au rythme des riffs sur la gauche, le second se montrant très concentré sur son jeu de basse sur la droite. Au centre, les deux chanteuses, bien que moins habituées à l’exercice, n’en démontrent pas moins une véritable maîtrise, chacune dans son style vocal respectif. La nouvelle venue, Yu Chen, assure pour sa première prestation au sein du groupe, révélant une voix haut perchée, parfois criarde, qui apporte une touche de couleur blues bienvenue à la mécanique bien huilée de Lethal Technology. En outre, la jeune femme, bien qu’un peu timide dans ses interactions avec le public, s’amuse comme une folle et profite de l’occasion pour livrer une interprétation très personnelle des morceaux, se permettant entre autres un rire cinglant sur Forbidden Flesh et quelques improvisations très jazzy sur A New Hope, morceau le plus calme du set ! De l’autre côté du spectre vocal, Jade Hänni, qui impressionnait déjà sur l’album par sa voix gutturale très masculine, montre la même puissance sur scène, et renforce même celle-ci en donnant à sa performance un aspect rageux et agressif qui ajoute à l’ensemble relief et dynamisme ! Dommage, cependant, que l’on ne puisse pas en dire autant de son jeu de scène, trop statique et mécanique… Le dialogue vocal avec Yu en souffre, notamment sur You Are my Target, morceau très théâtral mettant en scène une confrontation. Cela n’empêche toutefois pas le public de réserver un bon accueil à ce groupe atypique, qui promet d’avoir encore une belle énergie à revendre…

Lethal Technology

Après une pause dans la tournée européenne d’Aephanemer, le Manoir Pub accueille la première étape de la reprise. Pour ce nouveau départ, qui marque également son premier passage en Suisse romande, le groupe venu de Toulouse joue devant une salle comble ; parfait pour un démarrage sur les chapeaux de roue ! À propos de démarrage, ce dernier se fait sur Prokopton, éponyme du deuxième album sorti en 2019, et non des moindres, qui entraîne les premiers cris d’encouragement et clappements de mains en rythme dans le public. Officiant dans un death metal mélodique proche de Children of Bodom et agrémenté d’orchestrations issues de la musique de films, à première vue plus calibré pour le studio. Aephanemer ne perd pour autant pas au change sur scène et n’a de cesse de faire la démonstration de son sens de l’épique, bien aidé en cela par le talent des quatre musiciens et, surtout, leur enthousiasme. Il n’y a qu’à voir les immenses sourires sur leurs visages pour se rendre compte de la sincérité de ce dernier ! Tous quatre se baladent, au sens littéral comme au figuré, qu’il s’agisse de Martin Hamiche et Lucie Woaye Hune d’un côte et de l’autre de la scène entre deux soli néoclassiques du premier, de Mickaël Bonnevialle, on ne peut plus jovial et hyperactif en tapant sur les fûts, ou bien sûr de la frontwoman Marion Bascoul, qui se permet des expressions grinçantes qui ajoutent à ses allures de sorcière… Il n’en fallait pas moins pour soutenir une setlist rythmée et riche en titres déjà cultes extraits des trois albums du groupe. À ce sujet, ayant pour ma part adoré le dernier en date, A Dream of Wilderness, sorti en 2021, il me paraît étonnant de ne le voir représenté que par un seul extrait, Le Radeau de la Méduse, face à une surreprésentation de Prokopton, dont pas moins de sept morceaux sont repris ! Pas de quoi s’en plaindre, toutefois, les titres étant assez variés pour représenter la mosaïque des influences d’Aephanemer, du très symphoniques The Sovereign à If I Should Die, très progressif du haut de ses presque dix minutes, sans oublier le désormais classique Path of the Wolf ; de même, le chant en français fait son petit effet sur le sus-cité Le Radeau de la Méduse, tout comme les quelques passages en chant mélodieux tranchant avec le growl éraillé de Marion sur ce dernier et Snowblind. Du côté de public, celui-ci réserve un accueil chaleureux à cette première prestation en terres helvètes, qui s’achève en beauté sur Bloodline. Ce soir, Aephanemer aura livré un show haut en couleurs, à l’image de son set-up lumières !

Aephanemer

En cette soirée, la Manoir Pub proposait une affiche dont l’éclectisme aura permis à tout un chacun des spectateurs présents — en nombre — de redécouvrir le metal à chant féminin sous ses multiples facettes, et ce d’une bien belle manière. À une prochaine !