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Dans le milieu du metal industriel, Turmion Kätilöt fait figure d’OVNI. Tête d’affiche finlandaise d’une industrie dominée par l’Allemagne, le groupe se distingue également par un univers sombre et dérangeant, marqué par un goût prononcé pour la provocation et le jeu sur les limites, qui s’illustre autant d’un point de vue sonore, par le travail très poussé du mix metal/électronique, que visuel, au travers de prestations scéniques spectaculaires à l’esthétique sadomasochiste flirtant parfois avec la pornographie. Ces éléments combinés font de Turmion Kätilöt un groupe très loin d’être « grand public », mais dont celui qu’il rassemble tire encore et toujours satisfaction du fait de voir ses retranchements ne plus en finir d’être bousculés en même temps que ceux du genre. Au fil des années, les maïeuticiens de la perdition (traduction du nom du groupe, ndlr) ont ainsi accouché dix albums tous fidèles à cette ligne directrice, dont le dernier en date, Omen X, voit sa sortie coïncider avec le vingtième anniversaire de la fondation du groupe.
L’album s’ouvre sur Totuus, morceau promotionnel qui par son seul titre résume l’essence de ce nouvel opus — la vérité ; une vérité — sa vérité — que Turmion Kätilöt investit toute l’énergie et la rage qui le caractérise à clamer sur fond de mélange de techno hardcore et de heavy metal hargneux soutenu par une batterie cravachante ; le tout illustré par une vidéo dans la même lignée, à l’esthétique mêlant gore et humour grotesque. Débuter un album par son titre le plus agressif et rentre-dedans, voilà qui constitue sans nul doute pour le groupe un refuge dans l’audace comme ses fans lui connaissent bien. Comme en réponse à ce début décoiffant qui risque bien de laisser les profanes sur le carreau, le morceau suivant prend un virage très différent, en ralentissant le tempo d’un cran et en adoptant un ton plus calme et solennel, mais non moins grinçant, prière à un Gabriel loin d’être angélique, première de multiples références à la foi disséminées au long de l’album.
En vérité, autre que celle de Totuus, c’est de cette foi dont Turmion Kätilöt fait le cœur de cible d’Omen X. À commencer, de manière évidente et en raccord avec ce titre tiré du latin signifiant « présage », par celle bien souvent aveugle portée aux figures religieuses, mais aussi, de manière plus métaphorique, aux figures d’autorité d’apparence bienveillante. Pour cela, le groupe n’hésite pas à jouer cartes sur table, armé pour cela d’un atout de taille : sa plume schizophrène, ô combien indispensable au mélange délicat des genres tout aussi délicats que sont le metal et la techno — entre autres —, quitte à créer par-là des contrastes brutaux. Violence, souffrance et irrévérence, tels sont les trois grands mots d’ordre régissant l’état d’esprit vindicatif qu’est celui de Turmion Kätilöt et qui, au travers des onze titres et quarante minutes d’écoute d’Omen X, entraînent l’auditoire dans une spirale infernale d’émotions.
De fait, la comédie de morceaux tels Totuus et son clip au héros complotiste, ou le très entraînant Sormenjälki dont les accents très dansants évoqueraient presque les compatriotes de Korpiklaani, côtoie la tragédie des violences domestiques traitée dans Kuolettavia Vammoja sur fond de chœurs et de piano et la mélancolie d’un monde brisé dans Puoli Valtakuntaa. De même, ledit Sormenjälki, très centré sur les éléments electro, tranche avec Vie Se Pois, aux airs d’hymne révolutionnaire et très axé metal, simple et direct comme l’est quelques pistes plus tard Verestä Sokea. Une mention honorable revient à Käy Tanssiin et à l’usage fait dans ce morceau de la basse, bien lourde et puissante sur un passage très chill ! Du côté des figures religieuses, deux pistes après les anges dans Gabriel, les trois grands mots d’ordre précédemment cités trouvent un écho ironique dans Pyha Kolminaisuus, ode chaotique à la Sainte Trinité — littéralement le titre.
L’exemple le plus représentatif de ce sens du mélange des genres et de la rupture de ton se trouve toutefois chez Isä Meidän, titre promotionnel assez sombre où riffs flirtant avec le death metal et extrême agressivité de la techno côtoient refrain mid-tempo et mélodieux et chœurs enfantins reprenant le « notre père » du titre, prière emblématique adressée, l’auditeur averti n’aura aucune peine à le deviner, à une figure paternelle défaillante. Ceci avant de s’achever sur une outro façon bande originale de film à suspense, qui laisse sur le fil… avant de repartir de plus belle. S’enchaînent alors les susmentionnés dansants et humoristiques Sormenjälki et Käy Tanssiin, suivis du plus lent et sombre, mais non moins catchy, Kon Kesä Kuoli, jusqu’à la conclusion de Kuolettavia Vammoja qui, elle, pourrait laisser certains dans leurs larmes…
Avec Omen X, Turmion Kätilöt livre une nouvelle fois le cocktail dont il a le secret, mélange explosif de genres à première vue diamétralement opposés et prétexte à tirer à boulets rouges sur les institutions ; ici, plus spécifiquement, à pointer du doigt la foi religieuse sous toutes ses formes et mettre en garde contre ses dérives. Cependant, au-delà de cet aspect pamphlétaire, au travers de ce dixième album, le groupe professe sa foi ; d’une part en cette recette qui fait sa force depuis vingt ans, portée par cet état d’esprit vindicatif, d’autre part, en son public, pour lui demeurer fidèle et prendre ses messages pour ce qu’ils sont. En vérité, une dernière, chacun des onze morceaux composant Omen X sonne tel un hymne à la liberté, incitant à s’affranchir des limites et des conventions, mais aussi, et surtout, un hymne à la foi en soi…