Avantasia
A Paranormal Evening with the Moonflower Society
Genre power metal symphonique
Pays Allemagne
Label Nuclear Blast
Date de sortie 21/10/2022

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Avantasia a parcouru bien du chemin ; un chemin long et parfois tortueux. Au départ conçu comme éphémère et voué à ne sortir que deux albums, désormais fort d’une carrière de plus de vingt ans qui en compte huit, le projet mené par Tobias Sammet a pris plusieurs tournants au fil de ces années, partant de la fresque épique formée par les deux parties de The Metal Opera pour se diriger vers des albums aux concepts plus abstraits et aux compositions davantage orientées rock et AOR, en restant toujours fidèle aux traditions que sont les aspects symphoniques et la présence d’invités de marque. Ce parcours aboutissait ainsi en 2019 à la sortie de Moonglow, album combinant sonorités cinématographiques et imagerie tout droit sortie de la filmographie de Tim Burton. En octobre 2022, ce voyage dans la lune se poursuit avec A Paranormal Evening with the Moonflower Society, soirée surnaturelle à laquelle le maître à penser et son fidèle acolyte Sascha Paeth invitent bien aimablement leurs fidèles auditeurs à se joindre… Si l’imagerie reste la même que celle du prédécesseur, qu’en est-il donc de la musique ?

À l’image de cette esthétique, A Paranormal Evening with the Moonflower Society s’ouvre sous de bien obscurs augures avec Welcome to the Shadows. Sur des couplets à l’instrumentation minimale, et tel le conteur qu’il est, Tobias Sammet pose un texte quasiment récité, créant ainsi une atmosphère chargée en mystère ; mystère qui laisse ensuite place à l’épique lorsqu’à cette voix se joint une mélodie à l’orgue, puis d’autres voix sur un refrain explosif. Par ce jeu savant sur les codes de la montée en puissance et en tension, le frontman introduit doucement mais sûrement ses auditeurs dans l’univers sombre mais accueillant qu’est celui de ce deuxième épisode de la saga lunaire. À cette introduction d’ensemble succède The Wicked Rule the Night, premier d’une longue série de duos. Dans la même lignée mais un style différent que son prédécesseur, il offre le titre le plus « metal » de l’album, aux riffs très speed/heavy. Que ne pouvait-on rêver de mieux comme entrée en matière !

De même, un autre point qui frappe à l’écoute de A Paranormal Evening with the Moonflower Society est la mise en avant des voix au premier plan. Et quelles voix ! En totale fidélité avec le concept de « supergroupe de chanteurs » qu’est Avantasia depuis ses débuts, la production fait la part belle à chacun d’entre eux, qui de leur côté assurent leur rôle avec le professionnalisme qui leur est connu. Les fans de longue date seront sans nul doute ravis de retrouver Michael Kiske et le sus-cité Oliver Hartmann, pour ne citer qu’eux, toujours fidèles à leurs postes depuis plus de vingt ans. Du côté des collaborateurs plus récemment arrivés, Tobias Sammet et Nuclear Blast savent s’adapter à leurs spécificités en tant que vocalistes. Ainsi, pour leur première participation à un album d’Avantasia, Floor Jansen et Ralf Scheepers se voient honorés, elle d’un Take the Pain Away dont les aspects très symphoniques accueillent en grande pompe sa voix de diva, lui d’un mariage harmonieux avec les riffs speed de The Wicked Rule the Night et d’un duo de voix très complémentaire avec Tobias Sammet sur ce titre. Toutefois, c’est en tant qu’ensemble vocal que tous ces individus constituant la société des fleurs de lune atteint toute sa cohésion, sur des refrains clamés en chœur tel celui du quasi-éponyme The Moonflower Society, qui évoqueront aux plus rêveurs l’image d’entités chantant en harmonie…

En vérité, et en accord avec son titre, A Paranormal Evening with the Moonflower Society ressort comme une œuvre où l’ensemble prime sur l’individu, ce dernier trouvant sa représentation chez Tobias Sammet, personnage de scène comme de fiction, figure de proue dont l’implication se ressent comme totale… et c’est malheureusement de ce point que découle la plus grande faiblesse de cet album ; à savoir, son manque de rythme et de relief, défaut lié, d’une part, à la production, d’autre part, à l’omniprésence du créateur. Tout d’abord, en tant que compositeur ayant profité de la liberté totale dont il bénéficiait pour livrer des compositions qui lui ressemblent avant tout. À un début d’album sur les chapeaux de roue succède un ralentissement progressif allant de pair avec une atténuation des éléments « purement » metal qui laissent ainsi place à d’autres davantage apparentés à l’AOR, voire à la pop pour certains. De cette manière, en faisant le choix de centrer la partie médiane de l’album sur les mid-tempos et ces éléments family-friendly, le chef d’orchestre ne tarde pas à trouver son rythme de croisière… pour ne plus en sortir. En résultent des morceaux qui, bien qu’indéniablement pas désagréables à l’oreille, pâtissent d’une trop grande uniformité pour posséder chacun une identité marquante. Cette uniformité atteint son paroxysme sur Paper Plane, avion qui ne décolle jamais malgré ses mélodies accrocheuses, la faute à une structure rythmique aussi lisse que la feuille qui le constitue.

En outre, comme cela était déjà le cas sur Moonglow et les autres productions récentes d’Avantasia, les guitares se font ici peu présentes, en retrait dans le mixage et assurées par le quasi-seul Sascha Paeth, en l’absence de nouveaux invités pour apporter leur touche de shredding. Quelques leads se démarquent toutefois çà et là, notamment celle assurée par Oliver Hartmann sur The Innmost Light. Rien d’étonnant, en somme, de la part d’un Tobias Sammet avant tout claviériste, bassiste et surtout vocaliste. Omniprésent en tant que compositeur, il l’est également dans cette dernière fonction, mis en avant par une production déjà très centrée sur l’élément vocal… au détriment, par moments, de partenaires de duo dont les talents auraient mérité un espace d’expression plus large. Parmi eux, Floor Jansen, qui pour sa première incursion sur un album d’Avantasia se voit gratifiée de deux duos. Malheureusement, après une remarquable prestation sur Take the Pain Away, sa seconde intervention deux titres plus loin sur Misplaced Among the Angels semble bien plus anecdotique en comparaison et, par là même, dispensable. La chanteuse de Nightwish en paraît ainsi fatalement sous-exploitée malgré l’évidence de son talent. De même, I Tame the Storm prend son titre un peu trop au pied de la lettre, tempête trop contenue pour permettre à Jørn Lande un total lâcher prise.

Dans tous les cas, il est impossible de nier le talent du compositeur-interprète dans un domaine comme dans l’autre ; ainsi, Tobias Sammet livre avec A Paranormal Evening with the Moonflower Society des morceaux qui, bien que trop confortables pour s’ancrer dans les esprits, restent catchy et empreints de la personnalité que lui connaît le public d’Avantasia, chargés en positivité et en harmonie et aisées d’écoute. Après les deux premiers titres très accrocheurs et une partie médiane qui l’est beaucoup moins, la dernière partie de l’album peut se targuer de comporter son lot de bons moments qui se démarquent. En premier lieu, le quasi-éponyme The Moonflower Society déjà mentionné, hymne dont le refrain est habilement conçu pour être repris en chœur ; les deux duos qui suivent, Rhyme and Reason et Scars, sont sympathiques, l’un par ses quelques aspects néoclassiques, l’autre par sa mise en avant des capacités vocales de Geoff Tate. Enfin, Arabesque prend le temps, en plus de dix minutes, d’offrir une démonstration, à la fois de la maîtrise d’écriture de Tobias Sammet, qui fait une nouvelle fois montre de sa capacité à faire coexister une diversité de rythmes et de styles — à ce niveau, une mention honorable revient à l’inclusion des cornemuses et des mélodies orientales qui s’enchaînent avec une fluidité étonnante —, et de l’implication de tous les contributeurs, parmi lesquels Michael Kiske et Jørn Lande qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ce bel effort à la fois individuel et collectif offre ainsi à l’album une conclusion digne de ce nom.

En matière de création artistique, la question de la liberté et de la place à accorder au créateur se pose fréquemment, le plus souvent dans le milieu du cinéma. Cette année, une question similaire se soulève dans le milieu musical, plus particulièrement du milieu du metal : que cela donne-t-il lorsque l’un des plus importants labels de ce milieu, en la personne de Nuclear Blast, donne à l’homme derrière un projet, en la personne de Tobias Sammet et d’Avantasia, les moyens et la liberté pour créer ce que ce dernier décrit lui-même comme son « magnum opus » ? A Paranormal Evening with the Moonflower Society apporte un exemple de réponse, album qualifiable de tout et de son contraire. Œuvre centrée sur ses aspects collectifs plutôt qu’individuels mais où la personnalité d’un individu prend le pas sur celles de tous les autres, riche dans sa variété de styles mais pauvre dans celle de son rythme, à la production qualitative mais trop lisse, porte ouverte au renouveau qui n’est finalement pas franchie, il trouve finalement son principal intérêt dans l’étude de ses contradictions. Quoi qu’il en soit, si ses quelques faiblesses l’empêchent de devenir le magnum opus promis, il ne fait nul doute que ses qualités et son esprit feel good sauront satisfaire un public en recherche de lumière — lunaire — en cette période de fin d’année. En attendant la suite du voyage…