On n’a pas tous les jours vingt ans, ça n’arrive qu’une fois seulement. Pour Les Acteurs de l’Ombre Productions, cet anniversaire symbolique se fête avec un an de retard, mais non sans une sombre joie. Pour l’occasion, le underground black metal label français convie anciens comme nouveaux membres de sa grande famille à se réunir dans la maison de quartier Doulon à Nantes pour la deuxième édition du LADLO Fest, du 20 au 22 mai 2022. À première vue pas vraiment le lieu que l’on imagine accueillir un festival de musique extrême, l’endroit possède pourtant bien des atouts à mettre au service de celui-ci, comme nous aurons tout loisir de le découvrir.
Faire l’ouverture d’un festival n’est pas chose aisée, chacun le sait ; ce soir, cette tâche délicate revient à Abeam. Cette ouverture donne à ce jeune groupe local l’occasion de se faire connaître ; mais alors, à quoi s’attendre de la part de ces quatre musiciens ? À cette question, Abeam ne tarde pas à faire parvenir à nos oreilles et à nos yeux une réponse des plus belles que nous pouvions espérer. Entre leurs mains, mélodies acoustiques et saturations se marient dans un post-black metal aux accents shoegaze, instrumental dans sa plus grande partie et teinté des influences d’Anathema, que le frontman affiche d’ailleurs sur son T-shirt. Le jeune homme qui manie guitare acoustique et électrique joue également par moments de ses cordes vocales, dévoilant une voix aux couleurs de l’éclairage scénique d’ambiance « sunset »… qui ne tarde cependant pas à laisser place, en alternance, à une atmosphère plus sombre. Cette égalité dans la rupture de ton est rendue possible par la solide maîtrise technique de chacun des musiciens. À ce titre, mention spéciale au batteur, qui ne retient pas ses coups et ajoute une étonnante puissance tempétueuse à un set plutôt calme dans l’ensemble ! Abeam offre ainsi au LADLO Fest une ouverture dans la sérénité et au public la découverte d’un groupe encore inconnu, mais au potentiel évident…
Peu après une tournée marquée par quelques déconvenues les ayant contraints de jouer à trois au lieu de quatre, les musiciens de Lunar Tombfields reviennent ce soir avec un line-up complet et comptent bien montrer ce qu’ils valent. Cela ne pouvait mieux tomber, puisque ce soir, toutes les conditions sont réunies pour cela. Sous les lumières bleues et dans leur ville d’origine, M, Äzh et leurs confrères de scène sont dans leur élément et le font ressentir à chaque minute d’une prestation, certes très calculée et ne laissant que peu, voire pas de place à l’improvisation, mais non moins forte en spontanéité. Lunar Tombfields se lâche et s’exprime dans toute la splendeur de son black metal aux atmosphères nocturnes et déchirées. Les morceaux, bien que très longs, possèdent tous une structure assez bien pensée pour que la prestation conserve un rythme régulier ainsi que l’attention du public, aidés en cela par des musiciens jouant tous leur rôle à merveille. Le bassiste, notamment, affirme l’essentialité de son statut, portant une bonne partie de la prestation sur ses épaules. Pour l’avoir vu privé de son instrument de prédilection, je suis en mesure d’affirmer que la différence se ressent ! Malgré quelques soucis de son minimes dus à une certaine faiblesse des guitares dans les retours, le groupe livre un set qui laisse satisfait aussi bien son public que lui-même.
Vient ensuite le tour de Corpus Diavolis d’occuper la scène. À l’image de formations telles Behemoth ou Belphegor, pour ne citer que les plus évidentes, l’attirail scénique témoigne d’un certain sens du spectacle : encens, bougies, pentagramme sur le pied de micro, corpse paint façon illuminati… sous la houlette du groupe marseillais, la scène se transforme en église satanique où se déroule une étrange messe noire, à l’exécution savamment menée par des musiciens qui savent ce qu’ils font. Chaque titre est ainsi interprété à la manière d’un cantique, sur un rythme lent et posé. Malheureusement, si la musique tient largement la route, l’ensemble manque quelque peu de variété, entraînant chez moi une sensation de redondance… Cela étant, la bonne volonté et l’entrain dont font montre les musiciens font plaisir à voir. À leur tête, Daemonicreator gère remarquablement son rôle de grand prêtre en manteau rouge, passant en un tournemain du chant saturé au chant clair diphonique et exécutant chaque étape du rite avec précision. Les spectateurs se prêtent au jeu, clamant joyeusement des « Hail Satan ! », et ceux en première ligne se voient récompensés lorsque le frontman vient les asperger d’une étrange mixture noire… Parmi eux, nulle autre que moi-même. Autant dire que j’en ai pris plein la figure, au sens strict du terme ! De la même façon, la bonne humeur du bassiste, l’Américain William Kopecky, n’a d’égale que la puissance du son de son instrument. Un enthousiasme qui le suit même en dehors de la scène, comme nous aurons le plaisir de le constater lors de quelques échanges avec lui au merchandising…
Nouveau venu sur la scène du LADLO Fest et dans les rangs du label, ACOD est toutefois loin de débuter en la matière. Fort d’une carrière de seize années ayant donné le jour à quatre albums, et dans l’attente de la sortie d’un prochain, le groupe compte bien profiter de l’occasion pour faire ses preuves face à un public qui ne demande qu’à mieux le connaître. Et lorsqu’il s’agit de faire les présentations, il ne perd pas de temps à y mettre les formes, c’est le moins que l’on puisse dire ! Venu, comme Corpus Diavolis, de la cité phocéenne, ACOD officie dans un style radicalement différent. Vêtus tout de noir et de ferraille, les cinq hommes habillent leur musique des mêmes couleur et matière, prenant le meilleur du black metal pour l’un et du thrash metal pour l’autre tout en dérivant de temps à autre vers le death metal. Ce combo, de prime abord, n’est pas typique de la ligne éditoriale des Acteurs de l’Ombre… mais bon sang, qu’est-ce qu’il claque ! ACOD nous offre une leçon de show sans temps mort ni point faible, chaque morceau frappant plus fort que le précédent. Le frontman Malzareth et ses comparses, sourire jusqu’aux oreilles, savent en outre communiquer leur enthousiasme à des spectateurs qui de leur côté le leur rendent bien : cela s’agite dans la fosse, et les premiers mosh pits se créent… ACOD livre ce qui constitue à mes yeux la meilleure prestation de la soirée et prouve qu’il peut se féliciter d’avoir trouvé sa place dans le label.
En ce qui concerne Kanonenfieber, la tête d’affiche du jour, en revanche, impossible de se tenir autrement qu’à carreau. Venu en renfort pour remplacer Au-Dessus suite à son annulation, le mystérieux groupe allemand recrée la Première guerre mondiale jusque dans son décor de scène, qui comprend d’authentiques barbelés et sacs de sable… Pour cette raison, des barrières sont mises en place pour éviter au public de s’en approcher de trop près. De toute manière, nul besoin de se blesser dessus, ni même de comprendre l’allemand, pour rentrer dans l’ambiance, tant Kanonenfieber déborde de talent pour cela. Le groupe joue un black metal dur, violent et sombre, à l’image de sa thématique. Munis de leurs fidèles armes, et menés par le commandant Noise hurlant ses ordres dans son micro, les musiciens tirent à balles réelles sur une audience qui encaisse les impacts. Ils poussent même jusqu’à employer d’authentiques bruitages d’armes à feu en guise de breakdowns… Derrière les tenues militaires d’époque et les masques noirs se cache et se ressent en tout cas un vécu certain. L’immersion est totale et aucun manque de discipline n’est à relever sur scène ni dans le public, hormis peut-être un spectateur un peu trop pris dans le jeu ayant l’idée saugrenue de se jeter vers les barrières en criant « Poutine, entends-tu ?! »… heureusement sans accident. Après un pénultième morceau, le temps pour Noise de changer de masque pour un autre « tête de mort », et revoilà Kanonenfieber reparti pour un ultime tour de tranchée concluant cette première soirée dans le feu et le sang. Deutsche Qualität, comme diraient certains.
En ce deuxième jour du LADLO Fest II, c’est en début d’après-midi que la maison de quartier Doulon ouvre pour la deuxième fois ses portes au public amateur de black metal et sous-genres. Au vu de l’affiche du jour, chargée en groupes de styles variés, la journée promet d’être intense et mouvementée. Pour nous, elle le sera en tout cas, avec au programme deux interviews avec Miasmes et Hyrgal, en plus des shows.
Aux environs de 14 h, c’est justement au premier de ces deux noms d’ouvrir le bal du jour. Nouvelle signature du label, Miasmes sort le 3 juin son premier EP, Vermines, et profite de l’occasion pour le faire découvrir en avant-première aux festivaliers les plus curieux. À contrecourant d’autres groupes émergents, qui exploitent tous les outils modernes à disposition, le trio prend le parti de revenir aux fondamentaux du genre. En d’autres termes, Miasmes n’est pas là pour faire dans la dentelle et ne se prive pas de le faire savoir, dans un style que l’expression « brut de décoffrage » ne semble même pas suffire à définir ! Les musiciens s’en donnent à cœur joie sur leurs instruments, combinant rythmique chaotique à la batterie et riffing rapide et agressif sur une guitare et une basse au son écorché. À ces éléments, le frontman Greg vient greffer une voix éraillée, le tout dans un état d’esprit résolument punk et old-school. En dépit de ce que cet aspect « bête et méchant » pourrait impliquer, Miasmes ne néglige pas pour autant de rendre sa musique accessible : le son, bien que sale, reste de bonne qualité, tout comme les compositions suffisamment riches en mélodies pour ne pas se résumer à une bouillie de riffs sans liant. Ce mélange étonne et détone, mais fonctionne, et ce court set achève de réveiller un public qui se remet encore de sa soirée de la veille en lui injectant un bon shot d’adrénaline. Miasmes crache ses miasmes, et on aime ça !
L’affiche opère ensuite un premier changement de registre avec le show de Jours Pâles. Projet encore très jeune, né des cendres d’Asphodèle et nommé d’après l’unique album de ce dernier, son black metal se veut avant tout porteur d’une atmosphère élégante et sombre, tout à la fois rythmé et éthéré. Ayant à son actif un premier album, Éclosion, et dans l’attente de la sortie d’un second prévue pour la fin de l’année, le groupe présente une setlist centrée sur ce premier effort. Retenue par une interview avec Miasmes, je ne pourrai malheureusement profiter que des deux derniers morceaux. Cela me suffit, toutefois, pour apprécier l’implication de chacun des musiciens, notamment d’un batteur particulièrement expressif qui donne qui plus est l’impression de se balader… Au micro, Spellbound s’adonne à une prestation des plus habitées, voire théâtrale, hurlant de tout son cœur et de tous ses poumons et s’effondrant à genoux. Si le désespoir se ressent au travers de la musique de Jours Pâles, sa prestation laisse quant à elle transparaître l’espoir, celui d’un avenir et d’un futur second album à la hauteur de ce que le groupe mérite.
L’après-midi suit ensuite son cours avec Sons of a Wanted Man. S’inscrivant lui aussi dans la lignée du post-black metal, le groupe belge traite cependant son sujet différemment, mêlant au black metal les influences du post-hardcore en vogue aux États-Unis dans les années 80. Concrètement, ce mélange prend l’aspect d’une musique qui devient d’autant plus sombre et maladive que les deux genres le permettent. Sur scène, cela se traduit par une performance soutenue par un son qui, bien loin d’être lisse, semble au contraire tout droit sorti des abysses profondes ; une impression d’autant plus renforcée par la puissance de la caisse claire d’Owen Swerts. La puissance fait la force, l’union aussi, et celle des talents des cinq musiciens s’observe avec plaisir, tout comme leur dynamisme bien présent malgré un rythme de base plutôt lent. Jan Buekers, en bon frontman qui se respecte, se laisse emporter par sa prestation, au point de finir par lâcher son micro et venir pousser quelques hurlements à l’avant de la scène ! Pris dedans au moins autant que lui, le public réserve à Sons of Wanted Man un accueil fort respectueux.
Après une pause d’une heure durant laquelle les amateurs d’histoires peuvent profiter des talents de conteur de Quentin Fourneau, Numen occupe la scène pour conter, à son tour, d’autres légendes : celles du pays basque dont il est originaire. Adepte d’un black metal folklorique à l’approche très organique, centrée sur les mélodies et les structures narratives, le groupe met le savoir-faire de ses six membres au service de celle-ci au cours d’un show très soigné. Tous très complets et complémentaires, ils livrent une prestation qui l’est tout autant, très carrée et maîtrisée… peut-être un peu trop, du moins à mon goût. Je ne peux m’empêcher de noter une certaine rigidité au niveau de l’écriture ne laissant pas vraiment de place à la fantaisie, ce qui déteint inévitablement sur la façon de jouer des musiciens. Aucun d’entre eux ne donne l’impression de réellement se lâcher, et c’est dommage. Quelques moments marquants sortent toutefois du lot, comme par exemple le bassiste Lander soufflant dans un alboka (instrument traditionnel du pays basque, ndlr) ou Aritz Navarro assurant quelques passages en chant clair… lorsqu’il n’impressionne pas par sa capacité à tenir la note en chant saturé !
Par la suite, les contes traditionnels laissent place aux légendes futuristes avec l’arrivée sur scène de Borgne. Le groupe suisse déconstruit et malmène le black metal dans tous les sens pour mieux le revisiter en le couplant à une ambiance moderne, industrielle et surtout déjantée, amenée en bonne partie par les éléments électroniques et les claviers de la fatale Lady Kaos. Autant dire que sur la scène de la maison de quartier, le son est métallique dans tous les sens du terme ! Rajoutons à cela le maquillage des musiciens, constitué en grande partie de sang de porc, et nous avons droit à un set riche en fer… À l’inverse de beaucoup d’autres, Borgne fait passer l’expérimentation avant l’accessibilité et n’hésite pas à assaillir son public d’une musique d’une densité telle qu’il y a de quoi s’y noyer… tout comme la boîte à rythme, qui peine malheureusement à se faire entendre au milieu de ces multiples facettes sonores. Sur scène, si Lady Kaos et Damien Farina se montrent tous les deux très concentrés sur leur jeu, il en est tout autrement du côté des deux guitaristes, tous deux s’agitant tels des gosses hyperactifs — particulièrement Guillaume, dont les grimaces sous la moustache prêtent à rire —, et surtout du côté du leader Bornyhake. Pas à un excès près, ce dernier puise régulièrement au goulot d’une bouteille sentant l’alcool fort à plein nez et se donne en spectacle pour notre plus grande joie, hurlant à pleins poumons et courant partout… au point, sur le dernier morceau, de jeter brusquement son micro au sol et de descendre de la scène pour rejoindre le public, laissant aux musiciens le soin de terminer ! Une manière appropriée, finalement, de conclure un set déconstruit jusqu’à sa fin.
Alors que la soirée est à peine entamée, le public se prépare pour une prestation qui est peut-être la plus attendue du jour : celle d’Hyrgal. Pour célébrer la sortie de son troisième album éponyme ayant eu lieu la veille, le quatuor venu du sud de la France a décidé de le jouer dans son intégralité sur la scène du LADLO Fest ce soir, offrant ainsi l’occasion à une bonne partie du public de le découvrir pour la première fois. Pour ma part, l’ayant écouté en avant-première pour écrire sa chronique et m’étant pris une grosse claque, je le découvre autrement… et cette fois, c’est une véritable raclée que je reçois, aux côtés des autres festivaliers ! L’interprétation scénique confère à l’album une dimension encore plus sincère et personnelle. Déjà violemment touchant en studio, Hyrgal, groupe comme album, l’est encore davantage en live, aidé en cela par une alchimie entre les musiciens qui à présent s’observe en plus de s’entendre. Chacun d’entre eux brille à sa manière, avec les autres et non à leur détriment : Clément Flandrois mène le jeu depuis le côté gauche plutôt qu’au centre, partageant le statut de frontman avec Alexis Chiambretto et Mathias Nagy. À l’arrière, le jeune Rémi Serafino, nouveau venu à la batterie, est peut-être le plus impressionnant par sa virtuosité sur les fûts ! Du haut de ses quarante minutes de set consacrées à son éponyme synthèse, Hyrgal s’impose comme la véritable tête d’affiche de cette soirée et le cœur de ce LADLO Fest II.
N’en ayant personnellement pas eu assez, je pars faire une interview du groupe après sa performance, ce qui me conduit à manquer tout le set d’Hegemon. Cependant, les acclamations que j’entends depuis une salle pourtant éloignée de la scène me laisse deviner un accueil plus qu’élogieux pour le groupe montpelliérain… Une prestation qui ne s’est pourtant pas déroulée sans démêlés d’après Marc, qui me rapporte les problèmes de micro subis par le vocaliste Nicolas Blachier en plein milieu du troisième morceau et s’étant résolus entre deux titres. Je me consolerai plus tard d’avoir manqué ce show qui semble avoir été si bon en me plongeant dans la discographie d’Hegemon.
Un retour au calme s’opère par la suite lorsque vient le tour de Wesenwille. Venus tout droit des Pays-Bas, Ruben Schmidt et ses collègues de live en ont rapporté dans leurs bagages l’atmosphère froide, pluvieuse et métallique — quoi de plus approprié, finalement, pour un groupe basant ses thématiques sur l’industrialisation ? Malgré le parallèle que l’on peut faire avec le passage de Borgne quelques heures plus tôt, Wesenwille prend le contrepied de ce dernier, se plaçant en garant de l’ordre contre le chaos. Les membres du groupe arborent une apparence austère, tout de noir vêtus, comme pour marquer le deuil d’une société corrompue par le pouvoir de l’industrie. Ce deuil, cette austérité et ce sens de l’ordre s’illustrent, d’une part par ce dress code, d’autre part par une setlist comportant des compositions progressives et complexes, parmi les plus riches que ce que le festival nous a donné à entendre jusqu’ici. Malgré un ensemble assez froid, la performance de Wesenwille ne manque pas d’émotion, grâce à la communication non verbale que les membres maîtrisent parfaitement. Un des deux guitaristes casse une corde et se retrouve à changer de guitare en plein milieu d’un morceau, seul incident venant entacher un set autrement rondement mené.
Il paraissait tout naturel qu’un des projets menés par Déhà, figure emblématique parmi les figures emblématiques des Acteurs de l’Ombre Productions, trouve sa place au sein de l’affiche. Parmi eux, l’honneur de clôturer cette deuxième journée de festival revient à Wolvennest. Ayant en face d’eux pas moins de sept musiciens sur une scène parfumée à l’encens et une projection vidéo en son fond, les spectateurs qui ne sont pas encore partis se coucher — heureusement nombreux — s’apprêtent à vivre une expérience pour le moins cinématographique. Le son qui nous est offert part d’une base black metal à laquelle la petite troupe combine des influences progressives et psychédéliques à la Pink Floyd, tout en empruntant quelques éléments au pagan — ces derniers plus visibles dans la vidéo projetée en fond. Le mélange est particulier, mais très cohérent et loin d’être désagréable, son résultat s’apparentant finalement à du doom metal. Sous la guidance de Déhà et de ses six comparses talentueux, le public se laisse immerger dans l’univers musical de Wolvennest, lourd, massif et raffiné à la fois. Par ailleurs, le groupe a la chance de compter en ses rangs Shazzula, seule autre figure féminine du festival avec Lady Kaos. La jeune femme aux allures de sorcière apporte une touche de grâce, dévoilant de vraies prouesses vocales lorsqu’elle ne fait pas courir ses fins doigts sur sa thérémine (vieil instrument électronique, ndlr)… Au milieu d’un ensemble si massif, sa voix peine toutefois à se faire entendre, à mon grand regret. Au bout d’une heure de set, la projection prend fin et, avec elle, un show qui mène au pays des rêves…
Le temps passe à une vitesse folle lors d’un festival, et nous voilà déjà rendus à la troisième et dernière journée du LADLO Fest II. Au vu de son affiche, et après une précédente journée marquée par les ruptures de ton et de style, ce dernier tiers promet d’être placé sous trois signes : ceux du paganisme, de l’ésotérisme et de la gloire guerrière. À ces trois-là viendra bientôt s’ajouter un quatrième, moins bienvenu : celui des imprévus.
Blurr Thrower est mort, vive Limbes. Du moins tel est le nom sous lequel Guillaume Galaup présente désormais son œuvre. Dans tous les cas, aucun autre ne paraît plus apte à définir l’univers dans lequel cet artiste complet qui mène sa barque en solo, y compris sur scène, nous entraîne en ce début de journée. Seul face à son public, armé de sa seule guitare et d’un ordinateur diffusant une bande-son programmée, il joue un black metal atmosphérique aussi planant que mélancolique. Sur scène, Guillaume privilégie la fluidité du set et enchaîne les morceaux sans pause pour annoncer les titres ; un mal pour un bien, puisqu’une interruption aurait eu pour effet de rompre l’immersion. En parlant d’immersion, elle apparaît totale pour Guillaume Galaup : rien ne semble exister pour lui que ces Limbes où se perdent riffs d’une noirceur cristalline et cris glaçants inarticulés… Ces derniers prennent d’ailleurs une puissance telle que Guillaume se permet par moments d’abandonner le micro et de se courber en dessous pour hurler… et il réussit à se faire entendre ! Ce style déchiré et déchirant qu’adopte Limbes, tout comme la configuration en solo, évoque en tous points Cepheide, projet mené également en solitaire par Gaëtan Juif, camarade de label et ami de Guillaume ; rien d’étonnant pour qui sait que le premier a participé à un album du second !
Griffon succède sur la scène, premier d’une longue série de groupes à l’imagerie historique, païenne et guerrière. Très efficace dans ses balances, le groupe se permet de démarrer son set avec quelques minutes d’avance. Débarquant sur scène couverts de peintures de guerre et sur fond de chœurs très pagan, les cinq Parisiens emmènent leur public en voyage au cœur d’un autre temps, celui de Rome, Constantinople et de Karbala. Ceci, au travers d’un black metal au rythme posé et carré, mais loin d’être mou pour autant. Affirmer le contraire serait bien malvenu au vu de la grande forme dont font montre les musiciens ! Léo « Dino » Dieleman et Antoine secouent la tête en synchro, au rythme de la grosse caisse de Kryos. Du côté des deux membres fondateurs, Sinaï assure autant au chant secondaire qu’à la guitare lead et Aharon profite de l’espace, se baladant d’un bout à l’autre de la scène en frappant parfois du pied de micro sur le sol et délivrant des vocalises furieuses ; en chant clair, quelques fausses notes se font entendre mais ne gâchent en rien la performance. La prestation est fort appréciable, cependant je dois quitter la salle avant la fin, interview avec Aorlhac oblige, et ne revient que pour le groupe suivant, qui m’est déjà familier…
À défaut d’avoir des chapeaux ronds, aujourd’hui, les Bretons ont des brassards rouges ! Les Chants de Nihil poursuit la promotion de son quatrième album Le tyran et l’esthète sorti l’année dernière, sur une scène qui lui est familière. Pour l’avoir beaucoup apprécié lors d’une date en Suisse un mois plus tôt, je suis pour ma part ravie de profiter de nouveau d’une prestation du groupe. Les faits ne me donnent pas tort, puisque c’est avec joie et sans surprise que le public du LADLO Fest II reçoit une bonne leçon de discipline bien méritée de la part de quatre musiciens qui savent où porter leurs coups. Une nouvelle fois, Les Chants de Nihil démontre dans les règles de l’art ses deux grandes maîtrises : celle du black metal rapide et martial d’un côté, celle du sens de la rupture de ton de l’autre. Somme toute, que puis-je ajouter que je n’ai déjà dit ? De même, je n’ai aucune peine à reconnaître la setlist, sensiblement la même qu’il y a un mois, toutefois écourtée de ses deux derniers morceaux, limite de temps oblige. Cela suffit toutefois largement au groupe pour entrer en communion avec son public. Bien que limités, les échanges sont chaleureux, et le frontman Jerry conclut le set en nous envoyant quelques baisers pas volés…
Après une nouvelle performance de Quentin Foureau, l’après-midi se poursuit toujours sous le signe des contes d’autrefois avec le prochain groupe à occuper la scène. Cela faisait un certain temps que je n’avais pas revu Darkenhöld, que j’avais découvert pour la première fois et beaucoup apprécié sur scène lors d’une date à Montpellier en 2019. Autant dire que j’ai hâte que les portes s’ouvrent de nouveau… ce qui finit par se produire, dix minutes plus tard que prévu. Dès les premières notes de l’intro et l’entrée en scène des musiciens, nous voilà plongés dans les mystères de la bonne vieille époque médiévale chère au groupe niçois. Darkenhöld adopte une approche délicieusement old-school et artisanale et la retranscrit au travers d’une performance qui, sur fond de rythmique et riffing black metal brut, les trouve son essence dans les mélodies épiques et entraînantes qu’Aldébaran fait jaillir de ses six cordes. Malgré l’omniprésence de ce dernier, personne n’est en reste, et j’apprécie d’ailleurs particulièrement l’enthousiasme d’Aleevok à la basse. Même en tant que vocaliste « extrême », Cervantès possède une voix de conteur, dont il fait bon usage en transmettant ses histoires d’arcanes et sortilèges à un public qui se met presque à danser à leur rythme. Ce petit voyage dans le temps fait du bien, et je suis pour ma part ravie d’avoir revu sur scène un groupe qui a tant à raconter…
Après une nouvelle session contes et un nouveau retard vient le moment pour Moonreich de débarquer sur scène, dans le noir et la fumée. Première scène en fest du groupe après une longue période sans, ce show lui donne également l’occasion de présenter son nouveau line-up, dont il n’est pas peu fier. Au vu de la performance de ces derniers, impossible de lui donner tort ! La musique de Moonreich est sombre, très sombre, résolument plus brutale et violente que la moyenne. Les compositions, bien que moins sophistiquées que pour beaucoup d’autres groupes, restent très efficaces dans leur écriture et surtout dans leur exécution ; le guitariste lead, notamment, se démarque du lot et fait ses preuves. L’ensemble, bien que renvoyant une impression d’uniformité de par sa simplicité, frappe dans le mille : Moonreich provoque, les spectateurs ripostent et les mosh pits s’enchaînent. En accord avec cette ambiance sombre et violente, la mise en scène suit, centrée sur un éclairage en basses lumières qui donne aux musiciens l’apparence de silhouette et ne lésinant pas sur l’usage de la machine à fumée. Cette combinaison crée une atmosphère de film d’horreur certes plaisante, mais dans laquelle les photographes ont du fil à retordre…
En plein milieu du show, Moonreich annonce à demi-mots avoir appris que Seth, groupe de clôture du LADLO Fest II, connaîtrait quelques soucis de transport et ne pourrait arriver à temps. « C’est parce qu’ils n’ont pas acheté français ! », plaisante Weddir avant d’enchaîner sur ce qui devrait être les derniers morceaux du set. Le groupe profite toutefois de cette occasion imprévue pour jouer deux morceaux supplémentaires en piochant dans les débuts de sa discographie, pour le plus grand plaisir des belligérants de la fosse ! Le temps de jouer ces deux titres, et nous voilà rendus à l’heure où Pénitence Onirique aurait dû monter sur scène à son tour…
Sur ces entrefaites, Gérald Milani fait irruption sur la scène et prend le micro pour faire quelques annonces et éclaircir la situation : le van de Seth étant tombé en panne sur le trajet, et le temps de rapatrier le groupe à Nantes par d’autres moyens, le set de ce dernier initialement prévu pour 22 h 15 est reporté à 23 h 20, ceux de Pénitence Onirique et Aorlhac suivant en conséquence. Rassurés quant à ces nouveaux repères à prendre, les festivaliers offrent leurs applaudissements d’encouragement à une organisation qui fait son possible pour que tout se déroule au mieux.
C’est finalement aux environs de 20 h 30 que Pénitence Onirique peut enfin monter sur scène. Recouverts de longues toges noires, le visage dissimulé par le même élégant masque, les six membres du groupe n’auraient pas fait pâle figure dans un jeu FromSoftware, dont ils semblent d’ailleurs tirer leurs principales inspirations ; du moins, comme le laissent suggérer l’esthétique générale… Dans tous les cas, Pénitence Onirique impose un respect qui confine à l’admiration. Des six figures masquées et mystiques qui le composent, aucune ne se voit mise en retrait ni écrasée par rapport aux autres. Tous dévoilent une authentique polyvalence dans leur jeu ; à commencer par Dimiourgos, dont le talent pour la basse slappée se combine à merveille avec le tempo battu par Cathbad. Diviciacos démontre la même polyvalence dans ses vocalises, entre growl caverneux et cris suraigus. Du côté des guitares, bien qu’au nombre peu conventionnel de trois, aucune d’entre elles n’est de trop : bien que Bellovesos prenne le lead, Vorace et Norktünos savent tirer leur épingle du jeu et lui deviennent par-là complémentaires, bien plus que faire-valoir. Pénitence Onirique devient ainsi, à sa manière, la définition même de l’équilibre. Cet équilibre, le groupe le trouve aussi dans son atmosphère, entre ésotérisme et mélancolie. Pénitence Onirique touche, émeut, met tout le monde d’accord, et me laisse espérer pour ma part la sortie d’un troisième album prochainement…
Ils sont partis de loin, ils amènent ce soir l’Auvergne infinie à la tête du LADLO Fest II. Huit mois après la sortie de son dernier album Pierres brûlées, Aorlhac n’en a pas fini de promouvoir ce dernier et compte bien clamer son amour pour sa région natale en pays nantais. À l’inverse d’un certain nombre de leurs camarades d’affiche mettant l’accent sur le spectacle, c’est sans grandiloquence et en toute simplicité que les cinq musiciens se présentent devant leur public, arborant leur estime pour des groupes tels Primordial, Bathory et Empereur et sur fond d’un instrumental acoustique issu de leur dernière pépite volcanique. Volcanique, tel est d’ailleurs le terme pour décrire la performance d’Aorlhac. Le groupe présente une setlist très variée, autant dans la représentation de sa discographie que dans celle des diverses expression musicales dont il se rend capable. Entre black metal rapide et nerveux, mélodies acoustiques et folkloriques et rythmiques combattives, les musiciens font sonner chaque morceau comme un hymne guerrier… un caractère glorieux et épique dont Manowar en personne ne serait pas peu fier ! En outre, si Aorlhac ne remporte pas la palme de la mise en scène, on peut au moins lui décerner celle du groupe le plus expressif ; du jeu de cheveux de NKS aux grimaces de Wÿnter Ärvn en passant par la gestuelle et le headbang synchronisé d’Alex et KH, tout y passe. Spellbound, tout comme la veille avec Jours Pâles, se laisse embarquer et livre une performance tout aussi habitée et agitée. Le tout, pour le plus grand bonheur d’un public où les sourires se dessinent sur les visages et qui duplique cette agitation dans la fosse. De quoi en sortir comblé !
Nul festival consacré à un label ne saurait trouver une conclusion digne de ce nom, cependant, sans la présence d’une de ses signatures les plus emblématiques. Ce soir, malgré les déconvenues, Seth répond présent pour remplir ce rôle et célébrer le metal noir, pour reprendre les termes de son frontman Saint Vincent. « Nous avons énormément souffert pour être là ce soir ! » clame ce dernier à l’adresse d’un public fatigué, mais on ne peut plus reconnaissant du jusqu’au-boutisme des Bordelais, jusqu’au-boutisme qu’ils ont déjà eu plus d’une occasion de démontrer en plus de vingt-cinq ans de carrière. Seth a en effet connu des hauts et des bas et rend hommage à ces années au travers d’une setlist réunissant présent et passé, notamment au travers des extraits de son dernier album en date, La morsure du Christ, considéré par beaucoup comme un retour aux sources. Jusqu’au-boutiste, Seth l’est jusque dans son imagerie scénique, au décor proche de celui d’un film et jouant au maximum sur les stéréotypes du genre. Un tantinet cliché, certes, mais tant qu’à y aller à fond, pourquoi s’en priver ? Chacun des six membres du groupe, des fondateurs Alsvid et Heimoth à ceux plus récemment intégrés, sait se rendre indispensable à la retranscription de cette atmosphère luciférienne, et la combinaison de ces six talents individuels fait de chaque morceau un monument d’élégance et de brutalité à la gloire de ce metal noir si précieux à nos esprits. En somme, nous avons droit à une performance très complète de la part d’un groupe qui l’est tout autant et qui, en plus de cela, sait se montrer chaleureux. Saint Vincent, en particulier, prend à cœur son rôle de frontman et communique fréquemment avec les spectateurs, aussi bien entre les morceaux que pendant. Enfin, au moment de quitter la scène après un ultime titre, ses camarades et lui-même prennent le temps de saluer leur audience avant de quitter la scène, toujours dans la chaleur générale.
Ainsi s’achève cette deuxième édition du LADLO Fest, dans le triomphe et avec l’orage pour nous accueillir à la sortie. Je rentrerai pour ma part à Lyon le lendemain avec, dans mes affaires, quelques souvenirs matériels, dans la tête, le souvenir de trois excellentes journées et soirées, faites de performances artistiques mémorables du coté de la scène, d’échanges et rencontres en tous genres en dehors. Ceci est rendu possible, avant tout, par une organisation ayant mis les petits plats dans les grands pour créer une affiche éclectique, rassemblant aussi bien les divers sous-genres de l’underground black metal que les anciennes et nouvelles têtes du label. À ce sujet, l’implication des bénévoles mérite d’autant plus d’être soulignée et saluée au vu des imprévus qu’ils ont eu à gérer en ce dernier jour… Autre qualité non négligeable selon moi : celle des bières, au moins égale à leur quantité ; il en est d’ailleurs de même pour celle du café. Indispensable dans les deux cas ! Le seul regret que j’émettrai, finalement, réside en l’absence de figures emblématiques des Acteurs de l’Ombre Productions, telles Regarde les Hommes Tomber ou Pensées Nocturnes, qui n’auraient pas fait pâle figure sur l’affiche d’un événement si chargé en symbolique…
En somme, ce LADLO Fest II, bien que petit par son envergure, devient grand par sa célébration de l’anniversaire d’un label qui, en vingt ans d’existence, a su et sait toujours renouveler ses signatures et promet d’avoir encore beaucoup à dire. Du moins, c’est tout le mal qu’on leur souhaite, au moins pour les vingt prochaines années…